Eduquer, c'est d'abord rassurer

 

Dès  la naissance, le bébé réagit à son entourage. La période pendant laquelle ses besoins sont si impérieux qu'il est difficile de le nourrir autrement qu'à la demande ne dépasse guère l'âge de deux mois. Ensuite,  il est bon d'adopter une démarche plus directive, de « reprendre le pouvoir » (par exemple anticiper, retarder un peu les repas) pour adapter et stabiliser le schéma spontané qui émerge et aboutir à un horaire plus régulier des repas,  mais également du sommeil.

Cette structuration du temps contribue au sentiment de sécurité qui se construit peu à peu. Une journée régulière devient prévisible, l'adulte est perçu comme fiable et c'est ainsi qu'un événement qui se produit au moment attendu est foncièrement rassurant.

Le besoin de régularité aide à comprendre pourquoi des enfants plus âgés sont si  attachés aux rituels du coucher. Ils ne se lassent pas d'entendre la même histoire et protestent même - en corrigeant le raconteur - s'il s'écarte de la version habituelle.

Plus tard, le besoin de sécurité évolue vers la nécessité de limites, de normes, proposées par un adulte capable de les faire respecter. Mais l'imposition de règles de comportement débouche inévitablement sur un élément nouveau : le conflit.

L'éducation implique  des heurts et des pleurs. Il faut apprendre à les supporter pour que l'enfant puisse les dépasser et grandir.

Car d'un autre côté. c'est seulement en défiant la règle, en jouant avec elle, que l'enfant apprécie sa réalité, son importance aux yeux des parents et  prend la mesure de leur force, en tant que personnes capables d'imposer leur volonté.

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Cette nouvelle étape débouche sur plusieurs acquis :

(1)  La notion que la vie sociale implique des normes, des lois qui offrent des repères. s'imposent à tous et protègent chacun. On a comparé les limites à un mur qui empêche de passer... mais auquel on peut s'appuyer, comme un cours d'eau canalisé par ses berges. Et  on constate que  ce besoin  est  encore  plus marqué  chez  les enfants de haut potentiel,  à  qui   il faut  vraiment  des parents « à la hauteur », à  leur hauteur.  

(2) D'autre part  l'émergence du conflit, combinée à la découverte du « non »  permet de comparer sa propre détermination à celle des parents et de constater qu'ils ne sont pas tout-puissants.  Cela n'exclut pas la discussion, la souplesse, voire une négociation raisonnable. Mais il est impératif que les parents aient  le dernier mot et conservent sinon leur calme, au moins la maîtrise de soi — y compris dans la colère - s'ils veulent projeter l'image sécurisante d'adultes forts et protecteurs. un message vital pour répondre au besoin de sécurité des jeunes enfants.

Naturellement peu d'adultes  sont capables de  garder leur calme en toutes circonstances devant un enfant insupportable.  Et paradoxalement une  maîtrise trop parfaite comporte  même un  risque : celui de projeter l'image d'une personne incapable d'erreurs,  d'émotions, dénuée de sentiments, d'un parent  si parfait, si respectueux du manuel  qu'il en vient à  se comporter  comme une machine, un robot,  auquel l'enfant est incapable de s'identifier. Si les dérapages d'un adulte excédé  ne sont pas toujours évitables, ils  ont donc eux aussi un côté  rassurant, voire  nécessaire.  Ce qui n'empêche pas - au contraire - de les admettre, ni de les regretter.

Cela dit, quand des parents expliquent que l'enfant les a fait sortir de leurs gonds, l'image reflète bien la réalité. Ouverte ou fermée, la porte joue son rôle. Jetée à terre, elle est hors jeu, déplacée,  impuissante. Des angoisses infantiles et d'autres troubles du  comportement sont liés à des erreurs commises à ce niveau. Il faut aux jeunes enfants des règles simples, compréhensibles et des parents capables de les imposer,  en tenant bon dans les conflits. Plus ceux-ci sont intenses ou violents, et plus ils reflètent l'effort parfois désespéré de certains enfants pour tester la force de la règle et surtout la solidité des parents.

Céder dans ces conditions. c'est ne pas comprendre la source d'attitudes, parfois de plus en plus délinquantes ou provocatrices. qui ont pour objectif caché de révéler, de  retrouver la limite et d'acculer les parents à  montrer leur force.  En capitulant,  ils risquent d'adresser  un message porteur d'angoisse, celui d'un monde flou, déstructuré,  imprévisible,  et d'adultes incapables de résister, donc trop faibles pour fournir une protection suffisante. Et ceci peut déboucher sur une escalade de comportements de moins en moins supportables.  

(3)  Enfin la pédagogie des limites enseigne que beaucoup d'envies ne peuvent se satisfaire, ou que les satisfactions immédiates ne sont pas toujours meilleures que des satisfactions différées.  La vie humaine s'inscrit dans la durée,  s'investit dans des projets. L'éducation comme la culture contribuent à  construire une liberté intérieure, une capacité de choisir, qui passe par la maîtrise de ses propres pulsions.  L’être humain est un animal particulier. Exister ne lui suffit pas, il cherche un sens à sa vie,  demande  des raisons de vivre, adopte des valeurs qu'il cherche à  transmettre. Mais pour quelqu'un qui ne vit que dans l'instinct et dans l'instant, ces notions restent extérieures, abstraites,  sans poids,  sans influence profonde.

L'inaptitude à  différer le plaisir est un élément des comportements immatures, régressifs ou déviants (grignotage. alcoolisme, dépendances, paresse,  abus de drogues, promiscuité  sexuelle, impulsivité,  violence ...).  Ces défauts sont universels, mais ont  sans doute été favorisés par le rejet simpliste  de toute autorité  ou règle contraignante (« il est interdit d'interdire »), par des soixante-huitards  insurgés à  l'époque  contre une société  rigide, dogmatique et étouffante.  Aujourd'hui, on voit en tout cas de plus en plus de jeunes élevés sans tabous, sans inhibitions, mais qui n'ont pas  appris à  supporter le "non". 

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Les conséquences sont parfois dramatiques. Car sans encadrement, sans structure éducative,  la personnalité se forme difficilement. Ce n'est sans doute pas par hasard qu'on rencontre aujourd'hui tant d'individus anxieux, indifférents ou déboussolés, sans repères ou convictions, marginaux ou mal socialisés, incapables de rigueur, d'engagements ou d'efforts soutenus,  privés d'attaches durables,  avec parfois d'immenses difficultés  à  s'insérer dans un entourage familial,  scolaire, social ou professionnel.  

Cette misère psychologique, morale, affective, sociale engendre souffrance et frustrations. Par là  elle est  source d'agressivité  envers soi-même et les autres. Ce qui aide à  comprendre les galères vécues par nombre de jeunes désorientés. Leur fragilité,  leur insécurité les exposent - plus que d'autres - aux pièges et aux blessures de ces contestations creuses,  de ces dissidences illusoires que sont la délinquance, les drogues, voire le fanatisme des sectes, défis  au monde réel,  pauvres joies sur fond de malheur, fausses routes  d'enfants perdus dans des voies sans issue. 

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